« L'idée m'en est venue après un concert donné en duo avec le claviériste Julien Noël. Le fait d'être accompagné par un musicien de ce calibre, me permettant de me concentrer davantage sur le chant et sur la posture scénique, m'a procuré un rare sentiment de liberté sur scène, et, évidemment, donné l'envie d'une rallonge. Restait à trouver le moment... »
Le moment est venu, et le duo s’est mué en trio avec l’arrivée de Sébastien Boisseau à la contrebasse. Direction le Studio La Buissonne (non loin de Carpentras), haut lieu de la musique organique tenu de main de maître par Gérard de Haro, expert et passionné. L’envie est claire et partagée par tous : un travail hors des sentiers balisés de la rythmique (sans clic ni batteur, s’entend). Un enregistrement qui privilégie le silence et la science, celle du détail. Et même s’il est compté, on se laisse surprendre : on a abandonné une chanson à laquelle on croyait, et on en a enregistré une autre qui n’était pas prévue. C’est le plaisir du chanteur qui prime, il ne faut pas que je m’ennuie. »
Grâce à cette épure revigorante, nombre de chansons retrouvent un nouveau souffle. Dominique réinvestit ses chansons avec un plaisir renouvelé, et nous avec. C’est une nouvelle mise en scène des mots de Dominique A qui est proposée ici, une nouvelle dramaturgie. Le geste absent ne l’a jamais été autant, et la ville jouit d’un nouveau silence. « J’ai pris goût, entouré de musiciens de leur acabit, à n’être sur scène "que" chanteur, à me concentrer sur l’interprétation et à occuper différemment, et plus fortement je crois, l’espace scénique. »
Sauf que Dominique A reste aussi un auteur implacable, qui s’autorise aujourd’hui des thèmes et des récits qui résonnent avec l’air du temps. Témoins ces trois titres inédits pour le moins percutants. Un coup de poing intime tout d’abord avec *La Chemise à Fleurs*, à l’auto-dérision assumée : « Même si je ne suis pas triste / dès que je chante ça devient sinistre / Tous les jardins se mettent à l’heure d’hiver / Tous les palais croulent sous la poussière / Je ne mettrai pas de chemise à fleurs / Mieux vaut confier ces fleurs-là / À des plus solaires que moi. »
Dominique A questionne et interroge ici sans jamais quitter le terrain poétique. Il explore aussi notre rapport au monde animal, bouleversé lors du dernier confinement : « Les animaux sont arrivés / toujours plus nombreux / Descendus des collines / Graves et silencieux (...) Inquiets, ils nous regardaient bien en face / Bien au fond des yeux » (*Les animaux*). La force évocatrice de Dominique A est décidément intacte.
Plus grave et plus fort encore, c’est notre humanité même (dans tous les sens du terme) qu’il bouscule dans la chanson du même nom : « Je t’ai tenu entre mes bras / Je t’ai vu jouer dans le jardin / T’ai consolé combien de fois / T’ai vu courir sur les chemins / Tout ça pour en arriver là / Te voir défiler main levée / Beuglant comme si on ne captait pas / Des slogans d’inhumanité ». Comme un vertige, les mots de Dominique semblent aujourd’hui rattrapés par l’histoire. Mais avec ce double album rétrospectif et charnière, c’est une nouvelle page de la sienne qui semble se tourner. Vivement la prochaine.